Processional, the shadowed side, part 3

1925

Chant des anges gardiens

Des mufles à tous les balcons,
Des putains à tous les étages,
C’est la terre. On y fait un stage
entre les tripes et les cons.

D’Adam, ô l’aimable héritage !
Nous, immortels, y suffoquons,
Colombes Mentors de faucons,
Pleurants mainte plume en otage.

Seigneur, au nom de Ta Passion,
Délivre-nous d’être en pension
chez ces Satans et ces ilotes :

Mieux vaut (les seuls bons sont martyrs)
Du ciel, pinçant harpes et glottes,
Descendre pour le leur lotir

Dès qu’ils finiront de rôtir.

17–1–25

La demoiselle me croit dupe.
Sa moelleuse épaule au jeu pipe.
Elle s’ennoblit Sphinx. Œdipe
aurait trébuché dans ses jupes.

Les messieurs la prennent pour ange
de n’avoir rien entre les jambes
D’où ses moiteurs d’enfant aux langes
Et ses sourires de gingembre.

Les mots carrés et les énigmes
n’ont jamais enfiévré mon flegme.
Qu’elle change sa façon d’être

Et nous serons de bons amis.
Sinon qu’elle retourne paître
Parmi ces bovins en habit....

Je serais plus à l’aise prêtre.

17–1–25

Saurais-je me prendre
au sérieux d’être homme.
J’aurais pu, sans Rome,
m’y prendre et me pendre.

Pieds et cœur trop tendres
font des maux ma somme.
Les hommes m’assomment
et bien plus d’attendre.

Dieu, d’être immortel
c’est si naturel
et c’est si normal

d’être un corps glorieux.
Meurs, corps animal…
Démasque le Dieu ! !

28–1–25

J’ai été l’indolent témoin de mon enfance

J’ai été l’indolent témoin de mon enfance ;

Le public trop rusé

de mes lauriers guerriers et des tours dont, en France,

m’a Eros abusé.


ô Vie, je ne suis avide de vos trances

ni de les refuser.
Je me verrai vieillir avec indifférence

et mourir amusé ;


car n’étant point, terriens, d’entre ceux qui vous plurent[1]
Sans prétendre ici-bas mon habitat conclure

J’en gâchais les ciments


ayant, sûr des splendeurs nocturnes,[2] laissé cette
mienne âme, tout ce jour, sous un loup d’ossements
            rire à pleine fossettes.[3] 

29–1–25

I

Pourquoi m’empêcher de jouir
Quand tout au jouir m’invite,
ces spectacles que vous fîtes
me les offrir pour les fuir

et ces sens pour les enfouir.
Je ferme les yeux, j’évite
le rire, porte lévite
et me rebelle aux zéphyrs.

Tout en vain. Je suis ma dupe
ne pouvant vivre sans jupe
et sans bras dont me bercer.

Fallait me tuer à la guerre,
C’était un noble Persée
le jeune homme de naguère.

II

C’était sûr. D’avoir marché
tant sans baiser la Camarde
On arriva fous d’échardes
et d’illusions arrachées.

On s’est couché, harassés,
on s’est couché dans la merde
“et pour que rien ne se perde”
on s’y tenaient embrassés.

Or quand nous nous relevâmes
nous en conservions dans l’âme
un désir essentiel,

et trop lourdes les paupières
pour considérer le ciel…
Alors vinrent les Tripières.[4]

15–3–25

Ce qui m’embête, c’est qu’on
m’étiquète “bon jeune homme.”
C’est ce que je suis en somme,
mais ça me sort de mes gonds.

Plutôt des ours et des lions !
Votre justice m’accule
à un martyr[5] ridicule
trop, pour que nous en parlions.

D’où de moi les mères rêvent ;
Pour moi leurs Èves soulèvent
l’affreux soupir des pianos.

Et malgré tant de croisières,
Tous tombent dans le panneau
et me couronnent rosière.

16–3–25

Dialogue de l’âme et du corps.

I

Âme : “Par pitié, daigne surseoir
et te masquer d’élégance,
mon corps. Ce trop d’arrogance
m’exsangue toute au pressoir.

Le Vin jailli sous la lance
m’enivrerait jusqu’au soir,
mais ton poids m’oblige à choir,
déterreur de pestilences.”
Corps : “Âme âne, mets au repos
tes os, tes nerfs et ta peau.
Ils réclament leur pitance.

Tu nous as traités, ma sœur,
comme gibier de potence,
nous surtout, tes reins et cœur.

17–3–25

II

Les reins : Tu nous ceins, tu nous contrains,
mais nous rugissons d’envie—
Le cœur : Claudiquerais-je ton train
Quant seul Le Feu c’est ma vie.
Les deux : Fol Icare, tu feins l’ange
et nous sature d’azur.
Mais la pesanteur se venge.
Crois-nous le sol c’est plus sûr.
Le corps : Ton idéal c’est l’appeau
propre à me rompre la peau.
Dissocions-nous donc, chère âme.

Dieu pour épouse t’élit.
J’y joindrai l’épithalame
mimé de je sais quel lit—

19–3–25

III

Âme :

Quoi peser aux plateaux[6] un éphémère jouir

Cet animal besoin d’écouler un semen

mes reins, vous pourrirez devant que la semaine

s’achève, et moi je répondrai de votre agir.

Vous vous guérirez tôt, par la mort ou l’hymen.

Et vous, mon cœur, ignorez-vous que pour saisir

un objet infini, il sied égal désir,

et maints maux acceptés pour l’induire à l’Amen.

Cessez donc de vous plaindre–offrons un front unique.

Dieu promit à ses serfs pain, foyer et tunique.

Que voulez-vous de plus, où faudra-t-il châtier.

C’est que je suis si lasse et Lui si invisible

Que voyez-vous mon corps, il faut avoir pitié

même si mon entêtement parait risible.

IV

Corps : Ame au ciel, œuf d’hydrogène,
gros de point viables poussins,[7]
Plagiant les Saints assassins
Tu me souhaites des géhennes.

Ô être le corps d’Eugène
repus de mets…et de seins
non ce corps pour saint,[8]
que tu crèves s’il te gêne.

Dieu (mes lacrymaux sont secs)
“m’anima” d’une blanc-bec
amante des[9] vertus rogues.

Sans conscience d’être en peau
Retournerai-je au tombeau.
Mon seul espoir : Qu’on la drogue !

29–4–25

V[10]

Corps : Vouloir me couronner roi
quant me suffit jouer aux quilles.
Vos Sirènes à sang froid
je leur préfère les filles.

Si j’ai du lard sur du pain
Il n’est nul mets que j’envie
Et je suis roi si j’ai plein
mon tonnelet d’eau-de-vie.

Les Hébreux furent prudents
en leurs prophètes pendant
étripant et lapidant

Car d’écouter ces Cassandres
tout semble couleur de cendre
Et le lard ne peut descendre.

3–6–25

VI

Ame : Il est dit que Colomb, pour calmer l’équipage

lui enseigna des bois flottants.

Moi je n’ai nulle épave à vous donner pour gage,

vos murmures vont augmentant


Déjà ne peut plus vous convaincre mon langage,

Ce dont j’ai parlé tant et tant

Cette nef qui viendra vous prendre à l’abordage

Et qui vous contentera tant :


Elle sera pour vous bien plus qu’une Amérique
Pleine de mets exquis, de viandes à de barriques

d’eau fraîche aux dents, d’or doux aux mains[11]


Et vous serez couronnés rois d’innumérables
continents, de palais, de femmes désirables...

Dîtes, me pendrez-vous demain ?

VII

Ame : “T’y fera-t-il voir plus clair,
Dieu transmutant ton argile
en l’or d’une gloire agile–
Tiens-tu tant à être en chair.

Ce dieu-ventre que tu sers
est un démon fort habile
mais ne m’échauffe la bile
ou gare à ta peau, mon cher.”
Corps : “Tu le sais grognard je grogne,
mais quant on cogne je cogne
et remporte des guidons.

Le voyageur aux portières
convoite la terre entière,
mais sans tirer le cordon.”

Rideau

6–25

J’ai passé ce temps très tranquille sans jupons—
Des amis vous m’en avez fourni des fournées
Mais entre Vous et moi ces gens ne sont nul pont
Et si le furent quelques filles bien tournées.

Communiqué aux essences d’hommes sérieux,
Autopsiant l’âme des masculines harangues
j’indigérais mille préjugés poussiéreux
contre ce petit fruit de voir tourner leur langue.

C’est vrai, mon Dieu, les hommes si laids, mal rasés,
Avec des poils au cervelet et l’âme en langes
et puis La femme : du Chérubin l’embrasé
et ce logique instinct qui l’approche de l’ange.

De voir des hommes ça me fait rire et pleurer
comme moi, tout nu dans la glace, m’embarrasse
Dans vos Jérusalems (c’est doux d’y demeurer.)
Sûr les âmes sont de très féminine race.

L’homme, sais-je pourquoi, je l’assimile au porc.
Son cerveau, ce boulet, l’inutilise aux courses
La femme ça se connecte au vrai par les pores
Et comme une baguette s’incline aux sources

Alors moi, comme le sourcier, de les tenir
je m’oriente. On dit ainsi aussi les poètes—
J’en ai aimé d’anciens. J’en prévois d’avenir.
Les vivants d’aujourd’hui sont ou malins, ou bêtes.

Je vous remercie de m’avoir fourni d’amis
L’expérience ne vaut pas d’être continuée—
C’est dans un vilain cul-de-sac que vous m’avez mis—
Quand reposerais-je de m’accrocher aux nuées.

Balayez ces hommes je n’en veux plus—Je, seul,
vivrai. Ça n’ira pas sans quelques coups de corde
Pour chaque rancune il me faudra baiser le sol
Je doute fort que votre paix, ça me l’accorde

J’aime beaucoup les enfants et les animaux
ne m’en refusez la jouissance, pour sensuelle.
C’est qu’on Vous voit si clair au travers des marmots
Et la simplicité des bêtes m’est un ciel.

Je vous demande ça car j’ai peur du désert.
de m’y rôtir le dos, de m’aveugler de sable,
de n’aimer pas les sauterelles pour dessert,
Surtout d’y voir périr en moi le périssable.

C’est que voyez-vous je suis un homme bien construit
d’une réalité physique salonnière—
J’ai plu à plusieurs femmes et à quelques truies
ayant sauté sans trop m’y crotter leurs ornières.

Mais j’aime le contact de la peau. J’aime aussi
jouer des gammes sur des épines dorsales.
et puis je suis un peintre jeune mais assis,
et avec mes tableaux on peut orner des salles

J’aurai pour sûr dans peu de temps certain succès,
des coupures de journaux, des admiratrices
peut-être d’un coin du cœur où il se mussait
délié l’amour, l’amour d’une femme à matrice.

Vous voyez ma vie elle serait à envier
avec une femme un peu d’argent et de gloire
Désentêtez-vous de la faire dévier
ou pour vous échapper je dormirais, feint loir !

J’allais ainsi ratiocinant mais sachant trop
combien son Vouloir me sera unique norme
que ce qu’Il me prête il me l’ôtera tard ou tôt
me châtrera, m’émiettera ces yeux-crée-formes

Et mes doigts sans pinceaux et mon cou sans ces bras,
Cela sera très probablement quant en vie…
Je harangue beaucoup mais ne résiste pas
car j’aime ce boucher par moi, brebis, suivi

C’est d’unique anxiété que j’hésite au plongeon
De ce tremplin redescendrais-je par l’échelle ?
ou pour juste un instant de m’être cru pigeon
sauterais-je imprudent sans du liège aux aisselles,

Je sauterais, j’en suis trop sûr mais encore un
instant laissez-moi me glorifier dans ma viande
Faire aux paumes sonner clair mon poitrail, ces reins
et ces jarrets en jouir comme d’un arc qu’on bande

tous ces mille spectateurs leur dire : “Je suis
bien existant en volume en poids et en âge
et d’odeur, et au contact. Comme vous je jouis
du toucher de ma peau contre ma peau en nage.

J’ai été actif pour de plus nobles desseins
que beaucoup. Je me plais au manger et au boire
et au baiser.” Seulement alors au bassin
plonger, ornant de bulles, pour eux, le flot moire.

fini 3–7–25

A un modèle qui s’était fait attendre.[12]

Emule de Terpsichore,
Gaine au jeu des jeux habile
Qu’il me fit bouillir la bile,
Madame, votre cher corps.

Je l’attendis pour le peindre
tout un matin, tout un soir
qu’il mieux employa à choir.
Que les peintres sont à plaindre.

Vos hanches et vos tétons
lesquels nous nous entêtons
à projeter hors des âges

faisant foin (poudre demain)
du noble de nos usages,
n’apprécient que jeux de main.

1–9–25

Animés apparemment,
Je soupçonne mécaniques
vos chers corps, moins les tuniques
et l’air, dont l’apparat ment.

Sais-je, bassins, ronds genoux
blancs bras roux à la saignée
Où la science a consigné
vos réflexes devers nous.

peut-on par thermo-chimie
vous faire passer ma mie
ces accès égolâtriques ?

Cette branche étant de celles
dont j’ignore les ficelles,
j’emploierais plutôt la trique.

9–25

Graffiti pour sa porte :
“Rapace aux blonds genoux
Restons chacun chez nous—
Cette chandelle est morte.”

10–25


[ 1 ] Remplace : Car n’étant point de ceux qui t’aiment trop, pelure.

[ 2 ] Remplace : d’une nuit splendide.

[ 3 ] Remplace :
Et de l’enfance à la vieillesse écoutais cette
mienne âme, derrière l’éventail d’ossements

rire à pleines fossettes.

[ 4 ] Remplace :
aux mains des potées entières
et dans les yeux trop de terre
pour regarder dans le ciel.

[ 5 ] Une ancienne forme de martyre.

[ 6 ] Remplace : Mettrez-vous en balance.

[ 7 ] Remplace : gage d’invisibles poussins.

[ 8 ] Remplace : plutôt que le tien, coussin.

[ 9 ] Remplace : résignée aux.

[10] Selon les instructions de l’auteur, les éditeurs ont interverti les poèmes V et VI.

[11] Remplace : pour calmer nos soifs.

[12] Les trois poèmes suivants sont à comparer à “Poemas de Jean Charlot” dans Poèmes Choisis par Jean Charlot.