Processional, the shadowed side, part 9

Le Manuscrit Brun

Jean Charlot

Je te veux chanter Marie[1]

1 M

2 F

3 M

4 F

5 F

6 M2

7 M2

8 F2

9 M3

10 F2

11 F2

12 M3

13 F3

14 F3

1

Je te veux chanter Marie,

Sainte mère du Sauveur

Toi dont la main non flétrie

Met en fuite la hideur

Des légions de malheur

Qui volent d’une aile torve

Inquiets, remâchants la morve

de péchés que nul remords[2]

Ne lavèrent, langues doubles

Pour les sages dévoyer

Et aux seuils et aux foyers[3]

Semer[4] la haine et le trouble

Agaçants de doigts griffus

L’âme où germe leur Refus.

2

Joachim ce fut ton Père

était un sage pasteur

Anne fut étant ta Mère,

Plus pure que vierge en fleur,

Joachim dut à malheur

Conduire ses brebiettes

Bien loin de sa maisonnette.

Quarante jours il partit

Mais Anne en Dieu confiante

D’espérance ne pâtit

Et vint troublée un petit

de son mari[5] la servante

L’attendre à la Porte d’Or

Où s’embrassèrent d’accord.

3

Ce baiser-là c’est le signe

De ta grande pureté

de toi blanche comme cygne,

De toi, miroir d’équité.

Quant Anne t’eut allaitée

Elle t’enseigna la science

divine d’obéissance

Te montrant par ces devis

Et ces maternaux exemples

Et t’enseignant par avis

Comme d’un gracieux vis

il sied prier dans le temple

Et désirer à honneur

D’avoir pureté de cœur

4

Quant tu eus 14 ans d’âge

Tes parents, pieux et francs,

Songèrent au mariage

de toi leur aimable enfant.

Les jouvenceaux triomphants

Se présentèrent en foule

Pour conquier ton corps qui foule

le serpent d’un talon nu.

Il vint tous ceux du village

Ceux des villes sont venus

Parés et frisés menus

Apportants œufs et fromages

Et soulant conquérir or

Ce virginien trésor.

5

Cependant devers ta mère

Tu travaillais de tes mains,

Cuisinant de cent manières,

Filant chanvre, tissant lin.

Un jour que d’un savoir plein

Tu cousais dans ta chambrette

Pour le temple une serviette

Fleurie en mille boutons

Dévala sur ta demeure

Un ange qui te fit don

d’un bouquet de lys, ce dont

tu fis réflexion[6] meure[7]

Reconnaissant en ceci

Dieu te vouloir vierge aussi

6

Cependant devant la porte

Se trémoussaient les galants,

qui briguaient, d’une main forte

Jouir de tes jeunes ans

Quand d’oracles devisant

Onct le grand prêtre et ton père

Dire qu’il te pourrait traire

à lui, cil qui d’un cotret

Tenu au poing, sans malice

une fleur sortir ferait.

Tous des coudres coupés frais

Tinrent, obstant bénéfice

le seul poutreau de Joseph

Blanchit d’une fleur souef

7

Tous, émerveillés du gage,

De Marie et de Joseph

Célèbrent le mariage

Joseph était blanc de chef

Majestueux comme une nef

Dorée de proue en poupe.

Marie, encor sous la coupe

Des matrones, se vêtit[8]

D’une robe à fleurs d’or peinte[9]

Et d’un surcot de coutil

Puis rougissante un petit

Non de trouble mais de crainte

A sa main dans la main mis

de Joseph qui Dieu bénit.

8

Lui vers sa Maison dévale

Et Marie humble le suit

Qui quelques larmes ravale,

Priant Dieu qu’il ne lui nuit.

A fin, Joseph ouvre l’huis

Et dit : “Chère fiancée

Votre couche est là dressée,”

Mais Marie ne répond

Que par larmes angoisseuses.

Joseph voit ce rouge au front,

et le doute l’éperon

De ses flèches épineuses

Il dit “Femme je m’en vais

Vous renvoyer en secret.”

9

Il se retire en sa couche

Et va la tristesse au corps

Mordre les draps de sa bouche[10]

Puis à la parfin s’endort.

Il voit un Ange tout d’or

De grande resplendissance,

Qui du Ciel vient par puissance

Confirmer la pureté,[11]

de Marie et la venue[12]

Par l’Esprit-Saint concerté,

De son Fils Jésus nommé

Qui, souffrant dans sa chair nue

Le peuple saint, entaché,

Sauvera de ses péchés.

10

Marie la terre arrouse

De pleurs, d’amertumes pleins

Joseph sourit : “Chère[13] épouse

Qui tantôt filiez le lin

Cessez ces pleurs et ces plaints

Car je sais ce qu’a dit l’ange.

Hâtons-nous--Cousez les langes

du petit enfant Jésus.

(Et pour Vous n’ayez de crainte

Dieu m’aidera là-dessus).

Quant linges seront cousus

Nous partirons par contrainte

Pour Bethléem sans retard

C’est un édit de César.

11

Marie a fait la layette

A troussé son casaquin

Et puis d’un pot de rillette

Et d’un gros guignon de pain

Goussé d’ail, vite, elle apprête

En un carroyé torchon

Pour Joseph un baluchon.

Tel sur chemins ils cheminent

Par routes, frais et sentiers

De voleurs non souciés

Comme gens de pauvre mine

Ne possédant maille ou mine

Et Joseph le cœur souffrant

Tient Marie en mal d’enfant.

12

Arrivés dedans la ville

Se veulent faire héberger

Marie la pauvre fille

De souffrir ne peut bouger.

Mais nul mauvais aubergier

Ne veulent avoir ces hôtes

Etant d’âme astorge et caute

Disant : “Montrez vos écus.”[14]

Marie faint toute blanche[15]

Les sens de douleur perclus.[16]

Joseph devant qu’elle chut

L’entraîne dessous les planches

d’une vacherie, et là

Sur fumier, Elle accoucha.

Alléluia

13

Quant Marie la Pucelle

eut mignoté le poupon

Elle dit “Je suis l’ancelle[17]

de ce petit enfançon

de ce coquet nourrisson.”

Joseph mit chandelle en table

Et de barbe vénérable

Le brassait et l’embrassait

Et par gestes et blandices

Le pressait et s’empressait

Le baisait et le berçait

Disant “Faut que j’obéisse

A celui divin-humain

Que je tiens dedans ma main.”

14

Une troupelette d’anges

D’amour divin attiré

Luttent pour laver les langes

Litière fraiché[18] aliter

Et de bois bien délité

Tournent un souef navire

Où deçà, delà, chavirent

Le très docile enfançon

Pinçant luth et de luette

Exercèrent des chansons

des caroles, des tençons

Plus que merle ou qu’alouette

Dont l’enfant se réjouit

Et sans crainte s’endormit

15

Alors vinrent, de fromages

Pourvus, de tourtes et d’œufs

de beurre frais, de caillage

de tourtrelles liées par deux

Les pasteurs et leurscompagnes

des plaines et des montagnes

Qui, jouant du chalumeau

Qui, sifflant une carole

Qui, soufflant du cornuau

Qui, carolant le berceau

Saluèrent, d’humbles paroles.

L’enfant qui sitôt les vit

Leur rit[19] d’un gracieux vis

16

Il vint de dedans la Chine

trois rois dessus cent chameaux

Qui sont bêtes dont l’échine

Est tortue et le pied bot.

L’un était vieux et très beau.

L’autre avait quarante ans d’âge

Le tierce, noir de visage

N’apportait qu’un greluchon,[20]

un perroquet, sa perruche,

Et trois petits perrichons.[21]

De reste avait à foison

Tapis, brocarts et peluches

dont Jésus battit des mains

bénissant leurs fronts humains.

17

Du pays, Hérode, infâme

Etait le tyran maudit

Il dînait avec ses[22] femmes

Quand on lui vint dire “Si

faudra-t-il prendre souci

D’un enfant qui vient de naître

Qui de tous doit être maître”

Le vilain ordre a donné.

Pour que l’enfant disparaisse

D’occire les nouveau-nés.

Soldarts[23] ont tout malmenés,

Mais Joseph par grande adresse

Lors que la ville est à sac

Musse Jésus en un sac.

18

Il le met sur son épaule

Marie sur un ânon

Tous trois passent au contrôle

où n’on dit que si que non.

Par chemins mauvais ou bons

Dedans l’Egypte ils arrivent :

C’est un grand désert où vivent

Les démons qu’on nomme dieux

comme chacals, crocodiles

Qui sont d’aspect odieux

Et de langue insidieux

Quant la famille débile

Aperçoivent, les démons

Fracassés, roulent des monts

19

Joseph bon père nourrice

Douvoyait et charpentait

Et son petit bénéfice

En tout à Dieu rapportait

Jésus taillait les étais

Et Marie la sans-coulpe

Cousait et cuisait la soupe.

Se pressait à ravauder

Puis filait une filée.

Hérode étant décédé

L’Ange les vint décider

A revoir la Galilée

Et là longtemps s’établir

Où Joseph vint à mourir.

20

A Jérusalem admire

Devant que Joseph mort fut

Comme confondit les mires

Jésus plus sage qu’oncq vu.

Il oppose tel refus

A Marie qui l’invite

à la rejoindre au plus vite

Disant : “Laissez. Je me dois

Aux affaires de mon Père”

Dont Marie eut par surcroît

Grande douleur. Ce je crois

Eussent fait toutes les mères.

Mais Jésus est retourné

Plus docile qu’enfant-né

21

Jésus rouvrit la boutique

Et charpentier s’établit

Il n’avait grande pratique

Mais a petit appétit

Subsistaient Lui et sa Mère

D’une vie douce-amère

Sans que caquets de voisins

Ou brouille de parentage

oncles neveux ou cousins

ou calomniages nuisins

Eussent dans leur cœur partage.

Unis comme lierre au tronc

Trente ans d’âg’ subsisteront

22

Lors Jésus au mariage

de Jean, fit œuvre divin

Ce fut quand Marie sage

Lui dit : “Ils n’ont plus de vin”

Lui que l’on n’invoque en vain

dit “Mettez de l’eau en place”

La mute en bonne vinasse

dont son hôte s’éjouit

Tant qu’il le connut son Maître

Et de ce jour le suivit.

Aussi firent les convits.

Ce montre qu’il faut renaître

d’eau du Baptême et du Vin

qui au calice est divin.

23

Enseigna Jésus au temple

Et aux campagnes 3 ans

Sa mère loin le contemple

Et va son Fils désirant

Ne l’approche qu’en tremblant

Elle écoute lorsqu’il prêche

Et se rappelle la crèche

où elle le mignotait

24

Ici est moult triste histoire

Qui est de la Passion

Qu’il ne sied pas dire, voire

Sans grande dévotion :

C’est pour la punition

De nos péchés qu’il l’endure

dépiteuse, roide, dure.

Comme mère son enfant

déplore s’il a souffrance

a[24] vu frapper les bourreaux

Et d’épines, du roseau[25]

des crachats, coups et grevances

Marie en grande douleur

A perdu sens et couleur

25

Fut composé cette histoire

Par Charlot, parisien,

(Qui est peintre peu notoire

Cependant bon chrétien.)

Pour édifier les siens

Il la fit étant à Bitche

D’esprit et de cœur non chiche

Et n’a su la terminer

Aussi longue et aussi belle

Comme il l’avait désiré,

Servant comme officier

La France en fils non rebelle,

L’an mil neuf cent dix et neuf

Le mois d’octobre étant neuf.

[9 octobre 1919]


Parents – Porte d’Or – Education – Visitation – Annonciation – Le bâton fleuri – Mariage – Joseph doute – Sa vision – Consolation – Voyage – Bethléem. Naissance – Anges serviteurs – ergers – Mages – CirconcisionPurification – Massacre des innocents. Fuite en Egypte – Les démons se brisent – Rencontre de voleurs – Retour. – Jésus retrouvé – Mort de St Joseph – Noces de Cana – Marie aux prédications – Passion : flagellation – Ecce Homo – Ch. de Croix – St Jean et M. – Stabat – Pietà – Apparition de JC à Marie – Pentecôte – Communions de Marie – Mort. – Assomption – Couronnement – Apparitions : La Salette, Lourdes – Marie Auxiliatrice – Prière pour la France – pour tous, ma famille, moi. – Explications


1[26]

Je veux chanter ton los

Eglise délectable

Porte d’or, jardin clos

Conviant à la table

Sainte pour le frugal

Repas d’un cœur égal

Les peuples, cette troupe

pressée en ton giron

Comme sont les cirons

Au cristal d’une loupe

2

Ils prétendaient ton chef

Etre branlant de neige

Agitant les griefs

Audacieux chorèges[27]

Ils t’accusaient,[28] savants

indoctes, te trouvant

Sans charmes, si vieillie

Que tu semblais le cœur

d’une rose à rigueur

brutalement cueillie

3

Comme un blasphème encor

Qu’un carreau mortel navre[29]

Ils disaient que ton corps

n’était plus qu’un cadavre

à tôt ensevelir,

Il faudrait, sinon, fuir

Se bouchant les narines

Et laisser de dégoût

Ce dépouille[30] à l’égout,

Sombrer dans la marine

4

Ceux qui disaient cela,

Maîtresse sont en poudre.

Quiète[31] tu parlas :

et docile,[32] la foudre

Ecartelant les cieux

Pétrifia, vicieux

Dans leur harangue même,

Grinçants encor des dents

Et la haine au dedans,

Ces fauteurs de blasphèmes

5

Ceux qui t’attaquaient, vifs,

orgueilleux et superbes,

verdissent sous les ifs,

pourrissent dans les herbes

Et leurs ventres ouverts

Grouillent, tandis que vers

Toi leur regard se porte :

Immuable sous le choc

Il découvre le roc

Splendide de tes portes.

6

Ô Maîtresse il le faut

Dire ta chair est belle.

En vain frappe la faux ;

La jeunesse rebelle

Résiste ; tu vainquis

Deux mille ans, comme un qui

Contemplant dessus l’onde

Son visage pareil

Où les jeux du soleil

Passent quelques secondes.

7

Impassible tu vois

Les rois et les superbes

Portés sur le pavois

Où moissonnés aux gerbes

Des révolutions.

Toi, fille de Sion

Tu laisses les empires

Prévaloir tes autels,

S’élever ces Babels[33]

à la confusion pire

Qu’un souffle peut détruire

8

Tu vas drapée aux plis

De ta pudeur intacte,

Leur foule qui remplit

Bestiale et compacte

Les griffes de Satan

hurle et houle. Contents

Ils se sont concertés

Pour t’ôter cette robe

vierge, qui te dérobe

A leur lubricité

9

Ils ont saisi ton corps

De tant gente stature

Pour le jeter, encor

Sanguilent, en pâture

Aux écailleux serpents

Que la Mort va serpant

Convulés, noirs[34] de bave

Hors le tant clair pourpris

Blanc[35] d’anges où l’Esprit

de Dieu, mussé, s’encave.

10

Ils ont d’un fouet brutal[36]

Ensanglanté ta gorge

Ils ont, hideux chacals

Rougi ton corps aux forges

Et puis ils l’ont[37] lié

A l’infamant pilier

Ils s’approchent, brocardent[38]

Fer aux mains, fiel aux yeux

Mais tu pries...Les cieux

Poudroient leur houppe hagarde

11

Je suis ton fiancé

indigne, Eglise gente,

qui t’invite à tancer

Ma mollesse indigente

A laver dans l’Agneau

Mes pensers, et comme au

Festin de robes blanches

Il sied être vêtu

M’orner de fleurs dont Tu

Sauras choisir[39] les branches

12

Je te prie, humble et nu,

Eglise, sœur gentille

Accepte à bienvenu

Ma tant pauvre famille

Et moi-même, petit

En ton giron blotti,

Pour que de main non lasse

Nous soyons tes serveurs.

Supplie le Sauveur

Au ciel nous faire place


11–19


Essai de strophes en vue d’une “Ode”


[ 1 ] Charlot a corrigé et changé le manuscrit du poème sur la dactylographie des années soixante-dix. Les lettres et chiffres se réfèrent aux rimes masculines et féminines.

[ 2 ] Remplace : antérieurs.

[ 3 ] Remplace : Et partout germer le trouble.

[ 4 ] Remplace : germer.

[ 5 ] Remplace : Dieu.

[ 6 ] Remplace : réflexions.

[ 7 ] Correction ou changement de Charlot sur la dactylographie : mûre.

[ 8 ] Remplace : ceignit.

[ 9 ] Remplace : rebrochée.

[10] Remplace : couche.

[11] Rayé : La haute virginité.

[12] Remplace : naissance.

[13] Remplace : Jeune.

[14] Remplace : Pour ceux qui n’ont point.

[15] Remplace : Pour ceux qui n’ont point.

[16] Remplace : souffrir.

[17] Variante d’ancel ou servante.

[18] Une faute d’orthographe ou bien une variante de fraichet, diminutif de frais.

[19] Remplace : fit.

[20] Remplace : pour faire don.

[21] Remplace : greluchons.

[22] Remplace : des.

[23] Variante de soudard ou soldat.

[24] Omis : Marie.

[25] Remplace : fardeau.

[26] Une version antérieure de ce poème se trouve dans Autre Poèmes.

[27] Remplace : Modulants les arpèges.

[28] Remplace : blasphémaient.

[29] Remplace :

Ils rejetaient le port

ils reniaient le havre.

[30] Remplace : cadavre.

[31] Remplace : Sans hâte.

[32] Remplace : A tonnante.

[33] Remplace : Tu regardes sans ire.

[34] Remplace : blancs.

[35] Remplace : gardé.

[36] Remplace :

Ils s’approchent, brocardent,
Fer aux mains, fiel aux yeux.
Mais toi tu les regardes
D’un œil insoucieux.

[37] Remplace : t’ont.

[38] Remplace :

A ton regard, les cieux
Pourdroient leur houpe hagarde

[39] Variante dans le manuscrit : cueillir.